Le millérisme éclaté (de JL Chandler) (19.02.2008)

d0bcd133888befc22f08dc7860c00284.jpg1844 ! Quelle année ! Karl Marx écrit que la religion est « l’opium du peuple ». Charles Darwin confesse, à l’idée de lancer sa théorie de l’évolution, que c’est comme « avouer un meutre » (de qui ? de Dieu ?). Le désappointement du 22 octobre secouent les millérites comme une secousse sismique. (Pour les historiens théistes, la conjonction de ces évènements n’est pas fortuite). De nombreux millérites abandonnent toute espérance de la parousie ou retournent dans leurs anciennes congrégations. L’espérance du retour du Christ va t’elle survivre ? Ceux qui y restent attachés – 50 000 à 100 000 selon les sources de l’époque – éclatent en trois courants adventistes : les spiritualistes, les albanistes et les sabbatistes. Cette distinction est établie par les historiens car les concernés ne se sont pas donnés ces noms. Le mot « albaniste » est de mon invention.

Les spiritualistes

Après le désappointement, les dirigeants millérites concluent qu’il ne s’est rien passé. Pendant un court moment, ils croient s’être simplement trompés de date mais rapidement ils y renoncent. Ils s’efforcent de décourager les spéculations des « faiseurs de temps », comme Josiah Litch les appellent, un brin ironique. Joshua Himes exprime ce sentiment dès le 8 novembre 1844. Il réaffirme sa conviction que la fin est proche mais que les millérites n’ont aucune connaissance du moment précis. Quelques milliers de millérites, Joseph Marsh en tête, ne sont pas de cet avis. Ils estiment que le 22 octobre est la date correcte. Mais ils spiritualisent l’évènement en affirmant que Jésus est venu sprituellement ce jour là. On les surnomme « les fermeurs de porte ». Ils croient que « la porte de la grâce » s’est fermée définitivement. Ceux qui attendaient la venue du Christ sont sauvés. Pour les autres, c’est trop tard. Le fanatisme s’instaure facilement parmi les spiritualistes, d’autant plus  qu’ils croient que le millénaire d’Apocalypse 20 a commencé. Les uns  s’autoproclament parfaits et sans péché. Les autres refusent de travailler, estimant se trouver dans le « sabbat du jubilé », c’est-à-dire  au début de 1000 ans de repos après 6000 ans d’histoire terrestre.
Certains pratiquent le célibat, le mariage sans rapports sexuels, le saint baiser et le parler en langues. Ils mangent avec leurs mains, ils rampent sur le sol comme des enfants ou ils prétendent recevoir des révélations prophétiques.

 

Les albanistes

En novembre 1844, malade et épuisé par des années de voyages incessants, William Miller estime que son ministère est terminé. C’est le moment de laisser la direction du mouvement à des hommes plus jeunes. Joshua Himes semble tout désigné. Alarmé par le fanatisme des spiritualistes, celui-ci juge indispensable de s’organiser en église. Associant une organisation religieuse à leur expulsion des congrégations, la plupart des dirigeants millérites s’y opposent fortement. Pour une raison différente, Miller est initialement réticent. Il n’a nulle envie de démarrer une nouvelle confession religieuse. Mais la confusion spiritualiste l’amène à se ranger à l’avis d’Himes. Fort du soutien de Miller, en mai 1845, Himes convoque les millérites à la conférence d’Albany dans l’état de New-York. Les albanistes sont de très loin le courant adventiste le plus nombreux. Ils réaffirment leur croyance au retour du Christ sans fixer de date. Ils s’organisent selon le modèle congrégationaliste, chaque assemblée étant indépendante. Ils déclarent leur rejet des idées et des pratiques spiritualistes. A la différence de ceux-ci, ils continuent de proclamer la parousie. Ils envoient même des missionnaires à l’étranger. En 1846, Himes et des associés se rendent en Angleterre. En 1847, M.D. Mansfield est envoyé dans la Caraïbe.
La foi de William Miller est plus forte que jamais. « Je n’ai aucun regret, écrit-il en mai 1847, si ce n’est d’avoir fait si peu et d’avoir été si peu efficace ». Le 20 décembre 1849, il s’endort dans la mort dans des accents de louange : « puissant pour sauver », « oh qu’il me tarde d’être là-haut », « victoire ! victoire ! », « cri de joie dans la mort ! ». L’unité du courant albaniste ne résistera pas à la disparition de Miller. L’attente du retour du Christ unifiait le mouvement millérite interconfessionnel. Après 1844, la glue ne tient plus. Comme George Knight observe, le millérisme est devenu « une jungle théologique » de doctrines diverses et contradictoires. A cause de leurs divergences doctrinales, les albanistes donnent naissance à quatre groupes religieux : l’Eglise de Dieu (Oregon, Illinois) durant les années 1850, les adventistes évangéliques en 1858 (dirigés par Himes et Litch), les Chrétiens adventistes en 1860 (Himes les rejoint en 1863), et l’Union de l’avènement et de la vie en 1863.

Les sabbatistes
Les sabbatistes sont de très loin le plus petit courant adventiste. C’est un groupe minuscule : une cinquantaine de croyants en 1845. Ils sont les seuls à accepter l’explication d’Hiram Edson, à savoir que Jésus est entré dans le lieu très saint du sanctuaire céleste le 22 octobre 1844 pour démarrer l’instruction du jugement. Durant la première semaine de décembre 1844, une jeune fille méthodiste de 17 ans reçoit une vision à Portland dans le Maine lors d’une réunion de prière chez Elisabeth Haines. Trois autres jeunes femmes sont présentes. Comme les albanistes, Ellen Gould Harmon (1827-1915) pense que rien ne s’est produit le 22 octobre. Mais la vision, qu’elle rapportera dans le livre Premier écrits, la convainc du contraire. Cette vision présente deux scènes :

 
1. L’expérience millérite. Ellen voit un sentier étroit qui monte droit vers le ciel. Le peuple de Dieu est en marche vers la cité céleste. Une lumière vive éclaire la voie afin qu’ils ne trébuchent pas dans le précipice et l’obscurité environnante. Ils voient Jésus au loin, à l’entrée de la cité. Ceux qui gardent les yeux fixés sur lui sont en sécurité. Ils entrent dans la cité. Ils sont sauvés. Mais ceux qui rejettent la lumière, qui disent qu’elle ne vient pas de Dieu, perdent Jésus de vue. Ils tombent dans le précipice et dans l’obscurité.   

 
2. Le retour du Christ. Ellen voit une petite nuée noire, à l’orient dans le ciel. En se rapprochant de la terre, elle grossit, grossit de plus en plus. Elle est de plus en plus lumineuse et brillante. Sur la nuée, Jésus apparaît dans la position royale d’un conquérant glorieux. Les sauvés, vivants et ressuscités, sont enlevés dans les airs à sa rencontre. Après une ascension mémorable, ils entrent dans la cité céleste. Devant les merveilles du ciel, ils s’extasient de la miséricorde de Dieu. L’espérance du retour du Christ est vraie ! Le guide d’Ellen lui dit : « Il faut que tu redescendes sur la terre pour raconter ce que je t’ai révélé ». Elle reprend à regret ses esprits dans un monde qui lui semble effroyablement triste et sombre. Pour les millérites troublés et dans la confusion, la vision jette un regard complètement différend sur la situation. Son message est simple : Dieu guide son peuple ! Vers décembre 1844, la plupart ont abandonné leur ferme croyance que la date du 22 octobre est importante. Pire encore, certains croient que la prophétie des « 2300 jours » de Daniel 8.14 est fausse. Ils ont mis de coté « la lumière vive » qui les guidait sur le sentier. Quelques jours plus tard, Ellen Harmon relate la vision à la soixantaine de millérites de Portland. Ils l’acceptent avec joie. Elle la racontera en divers lieux. En une occasion, sans qu’elle le sache, William Foy se trouve dans l’assemblée. Il ne peut contenir sa joie. Il loue Dieu et s’écrie : « C’est ce que j’ai vu ». Ses visions ont des points communs avec celle d’Ellen. Comprenant mieux leur message après le désappointement, il publiera une brochure en 1845, « L’expérience chrétienne de William Foy et les deux visions qu’il reçut en janvier et en février 1842 », pour encourager et relancer l’espérance des millérites. Ignorant tout des recherches bibliques d’Hiram Edson, qu’elle ne connaît pas, Ellen Harmon reçoit une vision sur le sanctuaire céleste vers mi-février 1845. Elle voit le Père et Jésus quitter leurs trônes dans le lieu saint afin d’entrer dans le lieu très saint. C’est là, devant le trône de Dieu le Père, que désormais Jésus officie comme grand-prêtre. Ellen Harmon va de lieu en lieu combattre le fanatisme des spiritualistes et des « faiseurs de temps ». Les sabbatistes le proclament avec force : le 22 octobre 1844 marque la fin des dates prophétiques. Ils notent que la période des « 2300 jours », la plus longue période prophétique dans la Bible, est la dernière à être datée. Aucun évènement futur prédit par la Bible ne peut être daté.

 

Les héritiers du millérisme

Lors du premier recensement adventiste, publié en 1860, D.T. Taylor comptabilise 54 000 adventistes. Le courant albaniste est de loin le plus nombreux. Les 3500 sabbatistes viennent juste de se donner un nom : les adventistes du septième jour. L’extrémisme et l’individualisme du courant spiritualiste entraînera son déclin. La création des « adventistes de l’âge à venir » en 1885 ne changera rien à l’affaire. Ils finiront par disparaître au début du XX ème siècle. La situation du courant albaniste ne sera guère plus brillante. Les adventistes évangéliques et l’Union de l’avènement et de la vie ont disparus. Aujourd’hui, les Chrétiens adventistes sont plus de 23 000 et l’Eglise de Dieu (Oregon, Illinois) compte environ 600 membres. Les albanistes n’ont pas trouvé d’explication à l’expérience millérite. Ils ne s’en remettront jamais. De loin le plus petit au départ, le courant sabbatiste est de très loin le plus important aujourd’hui. Les adventistes du septième jour sont une Eglise vibrante et dynamique. Avec 16 millions de membres baptisés (soit une population de 25 à 30 millions de personnes) répartis dans 204 pays, ils incarnent l’héritage du millérisme. Pourquoi ce groupe a survécu ? Pourquoi il s’est épanoui ? Désormais c’est ce qui retiendra notre attention. 

09:16 Écrit par fades | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : William Miller, Millérisme | |  Facebook