Dans la peau de l'historien de JL Chandler (19.03.2008)

1210198473.JPGJ'ai toujours aimé l’histoire. Surtout les belles histoires. Je suppose que c’est mon coté voyageur, la curiosité de se promener à travers les cultures dans le temps et l’espace. Aussi lorsque Fabrice Desplan m’a proposé de brosser l’histoire de l’adventisme sur Sociologiser, j’ai accepté spontanément. Pour le plaisir de raconter l’histoire d’un groupe dans sa rencontre avec Dieu. Donc je le remercie.

Mais dans l’envers du décor, écrire l’histoire n’est pas qu’une partie de plaisir. Surtout lorsqu’elle est religieuse. Et donc depuis un certain temps, l’envie de publier un article sur la démarche scientifique de l’historien m’a titillé. Elle s’est définitivement cristallisée quand une internaute m’a posée dernièrement « la question qui tue » sur l’histoire qui est derrière l’Histoire. En substance, elle demandait - je généralise son interrogation - : « comment sait-on que quelqu’un a reçu un message de la part de Dieu ? » Autrement dit, qu’elle est la certitude de l’historien sur l’authenticité d’un récit, de surcroît avec une dimension de transcendance ? Il n’y a pas de réponse simpliste à ces questions mais je partagerai quelques étapes de réflexion indispensables à notre quête de savoir. Ce raisonnement part de loin. Il semblera au départ un peu éloigné de notre sujet mais suivez-le jusqu’au bout et vous découvrirez la solution.

 

Les limites de la raison
La première étape de notre réflexion est philosophique. Dans « Le discours de la méthode », René Descartes a révolutionné le monde de la science – le mot provient du latin scientia qui signifie « la connaissance » - en proposant une méthode rigoureuse d’acquisition du savoir. Pour atteindre son but, qui était de prouver l’existence de Dieu, il a basé son raisonnement sur une idée simple et « géniale » : démarrer la recherche du savoir par le doute, en écartant d’emblée toutes les idées présupposées et apporter, étape par étape, les preuves (les certitudes) de cette connaissance. Néanmoins, il n’a pas été jusqu’au bout de cette logique. Il s’est gardé de douter de sa propre existence, – d’où sa fameuse phrase, « je pense, donc je suis » - sinon il n’aurait pas pû écrire une ligne de son traité. Si l’on doutait sur tout, on éliminerait de nombreuses connaissances.
Malheureusement, Descartes a fait une regrettable erreur de raisonnement. Sa méthode s’est basée uniquement sur le pouvoir de la raison. La raison pure et absolue ! C’est là que le bâts blesse. La raison est une capacité formidable pour explorer tous les chemins de la connaissance. Elle a fait reculer les frontières de l’irrationalité, de l’ignorance, de la superstition et de la bigôterie mais elle n’est pas absolue. Elle ne peut pas tout expliquer et tout prouver. Je ne peux pas prouver que j’aime ma femme, l’émotion, la beauté d’un coucher de soleil, l’art, la créativité, la conscience, l’esprit, les sens ou les axiomes mathématiques - que 0 est 0 et non -1 ou 1 (certains mathématiciens se demandent si zéro est un nombre et une réalité dans la nature !). Il y a des choses que nous savons intuitivement et apriori. La raison pure ne suffit pas dans notre recherche de la connaissance.
D’autre part, la raison n’opère pas dans le vide. Elle s’exerce à partir des informations que nous recevons. Or ces données sont limitées et  souvent incomplètes. A l’échelle de l’univers, quelle est la somme totale de nos informations ? Albert Einstein a suggéré très généreusement que nous connaissons moins de 0.5% de la masse totale des informations dans l’univers. En supposant que c’est vrai, plus de 99.5% de la réalité cosmique échapperait au processus de notre raison.

 

La foi et la raison
La seconde étape de la réflexion entre dans la sphère métaphysique. La « preuve » cartésienne de l’existence de Dieu a vite été jetée aux oubliettes parce que, comme Eugenie Scott observe, « on ne peut pas enfermer une divinité omnipotente dans un tube d’essai ». Ceci n’a pas empêché l’Occident d’accepter dans un grand enthousiasme la méthode cartésienne. Au point de produire l’excès du rationalisme qui impose arbitrairement le dogme scientifique d’une dichotomie entre la foi et la raison. La foi serait quelque peu irrationelle ; la raison serait logique et éclairée. La croyance serait métaphysique (invérifiable) mais la science serait exacte. La frontière entre la science et la religion serait hermétiquement tracée. Mais sur quelles preuves s’appuie ce raisonnement ?     
Jusqu’au XIX e siècle, la plupart des savants occidentaux – Pascal, Galilée, Kepler, Newton, Farraday, Pasteur et beaucoup d’autres – n’ont vu aucune opposition entre la foi chrétienne et la recherche scientifique.
Certains d’entre eux étaient théologiens. Ils étaient ouverts à la possibilité d’augmenter leur savoir par une révélation extérieure à la seule force de la pensée. Ce raisonnement ne leur a pas semblé déraisonnable. Au contraire. Dans leurs observations scientifiques, ils ont vu des évidences d’une conception intelligente de la nature – confirmée par la science moderne. Ils ont conclu qu’il n’y a pas d’horloge sans horloger. Pour conclure autrement, il faut en vérité une contorsion assez extraordinaire des règles du raisonnement logique.
Dans les faits, le rationalisme à l’état pur n’existe pas. La pensée procède par doses simultanées de foi, d’intuition et de raison. Dans mes lectures, j’ingurgite les données de dizaines de livres scientifiques. A mon étonnement, les savants semblent souvent avoir plus de foi que les théologiens. Des dizaines de théories scientifiques – parfois ahurissantes - ne sont pas soutenues par des preuves, tout au moins suffisantes. Certaines sont même invérifiables. Mais souvent on leur accorde le bénéfice du doute. Le cosmologue Carl Sagan a appelé le big bang « notre mythe scientifique moderne » (Cosmos, p.213).  Abondant dans ce sens, le cosmologue Edward Harisson appelle la cosmologie « la nouvelle religion d’aujourd’hui » (Dick Teresi, Lost discoveries, p.161). D’un autre coté, des milliers de découvertes archéologiques apportent des évidences de la véracité historique des récits bibliques. On en fait trop peu cas.
L’astrophysicien Trinh Xuan Thuan observe : « Ce qui est nouveau, c’est que la science a découvert qu’elle a des limites. Les Grecs pensaient que la raison pouvait résoudre tous les problèmes, qu’elle pouvait appréhender tous les phénomènes. Mais la science, à mesure qu’elle progresse, s’est rendu compte que la raison ne peut pas aller au bout du chemin dans certains cas » (Le monde s’est-il créé tout seul ?, p.61). On sait aujourd’hui que la science n’est pas d’une exactitude absolue. En 1931, le mathématicien Kurt Gödel a démontré un théorème – le théorème de Gödel – qui a choqué les savants. Il a montré que l’arithmétique contient des énoncés « indécidables » dont on peut jamais dire par le raisonnement logique s’ils sont vrais ou faux. Aussi certains problèmes mathématiques ne seront jamais résolus par un ordinateur. On ne pourra jamais prédire le temps ou la trajectoire d’un électron avec précision. Pour la science, certaines choses resteront des mystères et seront à jamais imprévisibles.

 
L’histoire religieuse et la raison
La troisième étape de la réflexion porte sur la philosophie de l’histoire. Pour les rationalistes, l’histoire religieuse pose problème. Dieu, Satan, le paradis, les miracles, la création, les esprits, les visions ou les prophéties ne sont pas forcément des concepts déraisonnables ou faux historiquement. Mais dans le cas du judéo-christianisme, ils font appel à une autre source d’information, la révélation biblique (qui fournit certaines informations sur la réalité cosmique), que les rationalistes trouvent proprement inavenue. En vertu de quoi ? Thomas Jefferson, le troisième président des Etats-Unis, a écrit sa propre version des Evangiles en excluant la naissance virginale, les miracles, les prédictions et la résurrection du Christ parce qu’ils entraient en conflict avec sa vision du monde. Mais est-ce honnête et objectif de tronquer les faits qui défient le raisonnement rationaliste ?

 
La méthodologie historique

J’en viens maintenant à la méthodologie historique et à la question : « Qu’elle est la certitude de l’historien sur l’authenticité d’un évènement à caractère métaphysique – un miracle, une vision ou une révélation ? » En examinant les faits, il se pose une série de questions :

1. « Quelle est l’ancienneté du document historique ? » Il faut au moins un siècle et deux générations d’écart pour créer une légende. Pour une raison toute simple. De leur vivant, les témoins démentiraient les faits fabriqués par le créateur d’une légende. Par exemple, l’authenticité des évènements rapportés dans les Evangiles est difficilement contestable car ils ont été écrit une trentaine d’années après les faits.

2. « Quels éléments corroborent les faits ? » Les autres écrits contemporains (les critiques, les documents officiels, les tombes, etc) sont des sources appréciables de vérification. Par exemple, les documents originaux sur la biographie de Jules César n’existent plus. Les plus anciennes copies que l’on possède ont été écrites dix siècles après les faits.  Pour autant, les historiens considèrent les faits authentiques parce qu’ils correspondent aux informations que l’on connaît de l’époque. Autre exemple : de nombreux historiens pensent que la résurrection du Christ est un fait historique véridique. En effet, plusieurs historiens non chrétiens (romains et juifs) contemporains aux apôtres, tous hostiles au christianisme – notamment Flavius Josèphe -, ont attesté l’historicité de l’existence de Jésus-Christ mais surtout ils n’ont jamais démenti l’histoire, assurément « scandaleuse » à leurs yeux, de la résurrection. Etrange non ? Pas fous ! Selon l’apôtre Paul, Christ est apparu à au moins 500 personnes après sa sortie du tombeau (1 Corinthiens 15.6). Ceux-ci les auraient contredit.

3. « Quels sont les motivations du personnage historique ? » Les historiens valident l’historicité d’un fait quand le personnage n’a aucun intérêt à le raconter. Que gagne le prophète Jérémie à inviter Sédécias, le roi de Juda, à déposer les armes et à se constituer prisonnier de Nabuchodonosor, le roi de Babylone, sinon que de se faire exécuter pour haute trahison ? Ce message prophétique est donc attesté comme étant authentique.

4. « Quelle est la personnalité du personnage ? » Quel est son profil psychologique et sa cohérence comportementale ? Par exemple, la biographie du prophète Daniel révèle une personnalité très équilibrée. On ne trouve pas chez lui des signes de folie de grandeur, d’amertume ou d’irrationalité. Au contraire ! Trois rois lui confièrent les plus hautes responsabilités de l’état. On n’a aucune raison de penser que ses visions prophétiques – qui se sont accomplies à travers l’histoire - sont le fruit d’un esprit dérangé et déraisonnable.

5. « Quelle est la cohérence entre le fait et la révélation biblique ? » Dans le cas du judéo-christianisme, si Dieu existe, il doit communiquer  avec ses créatures et la Bible doit indiquer comment on identifie les évènements miraculeux et visionnaires authentiques. Selon elle, la vraie connaissance est un mariage de la foi et de la raison (Hébreux 11.1) – une foi raisonnable en somme. Les historiens lui reconnaissent une valeur historique inestimable. 70% de son contenu rapporte des faits historiques ! Par rapport aux documents de l’Antiquité, la mythologie y est notoirement absente.

6. « Quel est le contexte ? » Idéalement, l’historien veut visiter le lieu où l’évènement s’est produit. Ce contact direct permet de saisir des détails et des subtilités qui peuvent lui échapper. J’ai étudié l’histoire et la théologie de l’Eglise adventiste à l’université Andrews dans le Michigan, le berceau historique de l’adventisme. Je me suis immergé dans la culture, l’histoire, la géographie, le climat et la mentalité des gens de cette partie du monde. Ceci contribua à éclairer mon regard sur les débuts de l’adventisme.

 

L’adventisme et la raison

Les millérites n’ont pas opposé la foi à la raison. William Miller a appelé l’étude de la Bible, « un festival de la raison ». Les sabbatistes suivront leurs traces. Dans cet esprit, Ellen White a écrit : « Les expériences passées du peuple de Dieu ne doivent pas être traitées comme des faits morts » (Manuscrit 346). L’adventisme devait être un objet de la recherche historique.
Est-ce raisonnable de suivre la règle rationaliste inapplicable d’une utilisation unique et absolue de la raison ? Nous l’avons vu, la science ne le peut pas. En étudiant l’histoire religieuse, nous ne cherchons pas des preuves absolues sur les faits rapportés mais des évidences raisonnables et suffisamment concluantes.

15:29 Écrit par fades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : historique | |  Facebook