Lettre ouverte au Contrôleur des lieux de privation de liberté (22.12.2016)

Votre rapport publié dans l’édition du 14 décembre dernier au Journal Officiel a comme toujours suscité de vives réactions. Je reviens vers vous avec un léger recul sur la mention faite autour de l’usage du créole. Entant que sociologue et créolophone il est de mon devoir de vous sensibiliser en quittant les réactions passionnelles, mêmes légitimes, qui se sont largement exprimées. D’ailleurs, c’est la prégnance des lectures sur l’usage du créole dans la prison de Fresne qui pousse à vous porter quelques remarques.

Je vois déjà poindre le mot de communautarisme utilisé en pogrom. Mais c’est oublier que l’usage des langues régionales permettent de souder le lien national. N’êtes vous pas satisfait quand les agents du services publics, par exemple les agents de la pénitentiaire rebondissent sur le créole pour mieux adopter, adapter et appliquer des directives ou accompagner des détenus.

Vous pouvez objecter ne plus être dans votre conception des prérogatives qui sont les vôtres. Toutefois, c’est l’essentiel que cache votre observation sur l’usage du créole. Je vous renvoie donc la question : par quel processus social magique, qu’une extrême minorité de la population, les créolophones, se retrouve surreprésentée dans le personnel carcéral ? Par quel autre magie que ce même personnel surreprésenté arriverait durant son service à ne plus faire usage de ce qui fait lien entre eux à savoir la langue ? La question s’applique également à d’autres personnels de la fonction publique comme les ASH.

Un autre aspect de votre grief touche aux difficultés de management. Mais vous ne posez jamais la question pourquoi les créolophone ont quasi toujours une position subalterne dans la hiérarchie pénitentiaire ? Mais pourquoi après un demie siècle de bumidom et d’arrivées massives de céolophones dans l’encadrement des détenus, la hiérarchie elle même n’est pas créole ou ne comprend pas le créole ?

Vous l’avez compris, votre remarque ne se prolongent pas d’une consternation sur les processus sociaux inégalitaires, illégaux parfois, qui parquent les ultramarins dans certaines activités de la société. En pointant l’usage du créole vous avez ainsi livré à la vindicte des individus déjà discriminés par des processus sociaux latents. Je le répète, il ne s’agit de dire que votre observation n’est pas juste, mais que son caractère parcellaire sur des populations singulières et son non élargissement à d’autres langues régionales interrogent. Maintenant, ces autres langues, régions, cultures qui participent à souder la société française ne manqueront pas de lire vos réponses car le traitement réservé à l’usage du créole comme langue régional ou langue nationale, sera également celui réservé aux autres.

Evidemment, les usagers du service public doivent privilégier le français, mais la responsable des libertés que vous êtes ne doit pas occulter que la première des libertés, qui est la réalité de la reconnaissance de l’existence de l’autre et des expressions langagières associées est intimement liée aux identités, aux histoires, à l’identité national, l’Histoire. En demandant aux créolophones anormalement nombreux dans les services des prisons de lutter contre l’inéluctable besoin de parler créole, vous semblez les annihiler, refuser leur histoire, ignorer leur présence dans l’Histoire et leur apport y compris dans les prisons à la construction nationale.

Vous aurez beau jeu de dire que vous n’êtes pas compris et qu’un mauvais procès vous est intenté, mais la conséquence d’un propos est toujours supérieur aux intentions. C’est donc une clarification des intentions et surtout une prise de conscience de la complexité des conséquences qui sont légitimement attendues de la part de tous les créolophones.

Avec mes salutations républicaines.

 

Fabrice DESPLAN, Sociologue

Auteur de : Entre espérance et désespérance – Pour enfin comprendre les Antilles, Paris Empreinte, 2010.

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