"Clear Word": Bible adventiste ? Impact sociologique d’un débat. (11.08.2006)

medium_img102.jpgA chaud je vous transmets ma réaction et ma réflexion après avoir été contacté par une revue afin de commenter l’existence de la Clear Word. Surpris que je n’ai pas opté pour une mise en accusation de l’adventisme, il m’a été informé que mon avis ne sera pas pris en compte. Evidemment si vous avez l’habitude de me lire ici, vous ne serez pas surpris. En effet je pense que le sociologue est un analyste et non un moraliste. Ce n’est pas à lui de prendre une position incriminant son objet d’étude. De plus, je ne suis pas théologien et les nombreux débats autour de la Clear Word se sont cantonnés principalement à des considérations théologiques et éthiques, à côté des questions que suscitent l’existence même de la Clear Word. Je vous propose de glisser dans ce débat un regard porté sur des incidences identitaires liées à l'existece de la Clear Word, qui passe pour être "une Bible adventiste".

Dès sa parution la Cleard Word a provoqué les foudres de la presse américaine. Celle-ci y voyait une nouvelle tentative d’un groupe pour s’accaparer le texte biblique pour en faire un outil, dévoyé, propice à un prosélytisme exacerbé. La comparaison avec La traduction du monde nouveau des Témoins de Jéhovah n’a pas manqué. En Europe le débat est resté dans le cercle de spécialistes. D’ailleurs, au risque de me tromper, peu d’adventistes savent qu’il y a une traduction de la Bible dite adventiste. Il faut dire que l’ouvrage est en anglais et non disponible dans le catalogue des éditions adventistes (ce qui est normal puisque non éditée par elles), bien que présente sur Amazon ou des sites d'ouvragesen occasion (c’est par ce biais que j'en avait fait l’acquisition).

La Clear Word a été réalisée par le Dr adventiste Jack Blanco. Il est admis aujourd’hui (je parle sous contrôle des commentateurs bibliques qui peuvent amender en commentaires) qu’il s’agit d’une traduction marquée par une forte prise de liberté par rapport au texte original. D'ailleurs Blanco indique en préface : The Clear Word is not a translation, but a devotional expanded paraphrase of the Holy Scriptural intented to nurture spiritual growth. Malgré cette indication de Blanco, la Clear Word passe pour être une "Bible adventiste".

Dans un article de la revue adventiste Dialogue faisant référence à la Clear Word, Steve Thompson de la faculté de théologie d’Avondale au travers d’un article « Pourquoi tant de versions de la Bible » (1999, 11,3, 26), notait implicitement, que des traductions de la Bible, élaborées par une organisation religieuse « peuvent introduire des concepts qui ne sont pas réellement dans la Bible ! » Il indique également qu’une traduction riche de divers spécialistes comme il est de coutume notamment dans l’Alliance Biblique « limite les déviations dans la traduction. Les transcriptions ont leur place pour une lecture de communion spirituelle quotidienne, mais pour une étude sérieuse, les traductions collectives sont plus fiables ». L’auteur pose ouvertement une autre question : « Est-ce que les adventistes du septième jour devraient avoir leur propre version ? » Pour Thompson, « une telle action amènerait des soupçons de déviations doctrinales, et limiterait notre capacité [adventiste] de lire et d’étudier la Bible avec d’autres chrétiens si nous utilisions notre propre version au lieu d’une version standard ».
Cette position d’un doyen universitaire adventiste fut précautionneusement juste. En effet, les critiques ne tardaient pas à s’amplifier et à mettre en évidence, sous une forme comparative ce qui fut une prise de liberté du traducteur avec le texte original. Les auteurs du "Seventh-day Adventism - The Spirit Behind the Church", qui est un documentaire critiquant l’adventisme s’engouffrèrent dans cette brèche. Pourtant on ne peut accuser Blanco d'avoir réalisé une traduction adventiste de la Bible. Toujours en préface il informe le lecteur sur le caractère personnel de son travail.
Il écrit :

This paraphrase provides my personal insights into the gracious and long-suffering character of God, the linving ministry of our Lord Jesus Christ and the struggles of the earky Christian church to survive. [Version PDF de la Préface ICI]

Quoi qu’il en soit, Bible adventiste ou non, l’existence au sein d’une organisation religieuse d’une traduction biblique pose la question de l’identité collective du groupe pour le sociologue.

L’un des éléments de définition de l’identité chrétienne et plus spécifiquement protestante est la présence d’un socle commun que sont les traductions collégiales de la Bible. Le succès des versions qui se sont imposées, y compris la version de Jérusalem dans le monde protestant, tient au consensus autour de celles-ci. L’apparition de ce que j’appelle une traduction endémique (au sens écologique du terme) a pour premier effet de particulariser encore plus la tradition religieuse à l’origine de ladite traduction. Elle peut être perçue comme initiant un élément permettant d’avoir une vision endémique (cette fois-ci au sens épidémiologique) de ce groupe. Nombre de représentations des Jéhovistes dans l’univers chrétien est de ce double ordre. Les TJ apparaissent comme un groupe à part, dont le discours prend entre autre appuis sur une traduction propre (une endémie écologique). De fait, les échanges avec cette tradition religieuse semblent difficiles, car ils ne reposent pas sur les mêmes repères théologiques. Une véritable vision spécifique et polémique du texte biblique s’y développe, conçue en divergence voire en conflit avec les autres traditions chrétiennes (endémie épidémiologique).

Etablir une traduction endémique du texte conduit vers un double risque que percevait déjà Thompson. Premièrement c’est celui de la suspicion de manipulation et secondairement, de manière concomitante, c’est aussi le risque de l’esseulement.

On le voit, au centre de l’identité chrétienne protestante, se trouve un texte, dont le rapport à ce dernier peut significativement orienter l’identité collective d’un groupe, surtout dans ses interactions avec d’autres groupes religieux. C’est ce point particulier qui intéresse entre autre le sociologue dans les multiples effets qu’il entraine. La réussite d’une tradition religieuse protestante tient finalement dans sa capacité à démontrer qu’elle propose une lecture pertinente d’un texte ancien et commun aux autres traditions protestantes. Cela légitime ladite tradition, mais surtout le texte à l’origine de toutes les traditions chrétiennes protestantes, à savoir la Bible dans ses traductions qui font consensus.

12:20 Écrit par fades | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Eglise Adventiste, groupes religieux minoritaires | |  Facebook