La pratique du Sabbat chez les adventistes (2) (18.07.2006)

Je défends l’idée qu’il faut, à côté des apports de chercheurs complètement extérieurs aux groupes religieux, insérer des regards de l’intérieur desdits groupes, pour mieux les comprendre. Vivre avec ces derniers, profiter de l’apport de chercheurs membres de l’organisation, écouter, recueillir les paroles des individus, sont nécessaires à la construction du savoir sociologique. Loin de moi l’idée de "compromission" (le terme me cause problème). Il faut rendre compte respectueusement, mais sans "complaisance" scientifique du groupe analysé. Pour illustrer, je vous livre un extrait de mon carnet d’enquête, écrit, quelques minutes dans un café, après une observation au sein d’une communauté de l’Eglise Adventiste du 7ème Jour dans le Nord de la France.

« Le sabbat est un élément vraiment particulier. Les individus sont habillés de manière plus soignée qu’en semaine. Il semble que les noirs donnent plus d’importance à cela. Certainement il faudrait relier cela à la place du paraître dans ces sociétés noires où l’acquisition d’une reconnaissance sociale passe par la présentation de soi Peut-être que c’est une manière de définir la religion chez les minorités issues d’une histoire coloniale ? A voir. Il ne faudrait pas oublier de relire les travaux de Girondin Jean Claude. Je dois faire attention aussi aux lectures postcoloniales intégristes, quasi négrocratique du monde.
Revenons… Tous sont bien habillés le sabbat. Les gens défilent et se congratulent sur leur paraître. "Elle est bien ta cravate ; Tu sens bon ; Ton mari est bien comme cela…" Cela me rappelle quand même les grands rendez-vous mondains parfois. Mais ce qui me frappe plus c’est la même question "Et ta semaine ?". Elle ne semble pas avoir le même sens que chez les évangélistes par exemple où ont devine uniquement qu’il s’agit de prendre des nouvelles d’une personne que l’on n’a pas vu durant une semaine. Chez les adventistes c’est le cas aussi.
Mais cette question, posée, le sabbat marque également la rupture avec le reste de la semaine qui intègre le dimanche, et donc s’oppose, se légitime par rapport aux autres groupes religieux.

Le programme commence dans un brouhaha de conventions. "Bonjour, bisous, salut" etc. Les chants, les prières, les discutions, les témoignages défilent lors de la première partie du programme. Le centre de ce premier temps du rituel adventiste est l’échange autour d’un thème développé en semaine qu’est l’Ecole du Sabbat. En fait il s’agit d’une catéchèse, organisée en petits groupes. Le deuxième temps demeure le prêche traditionnel commun dans sa forme à de nombreux groupes protestants. La sortie dans l’église après la prédication est très orchestrée. Elle est gérée par deux diacres qui agissent de manière parallèles. Après que les officiants du culte (prédicateur et animateurs) aient quitté l’estrade, diacres et diaconnesses arrivent et invitent les personnes qui ne restent pas dans la méditation, à quitter la salle de culte. Cela se fait dans un étonnant silence. Les diacres s’approchent des bancs, et d’un geste discret, font sortir les individus en rang. Ceux-ci arrivent devant les officiants qui étaient en chaire lors du culte pour les saluer. Tous les individus défilent devant ces derniers et les remercient pour le culte. L’organisation semble bien ficelée. Dans un retour quasi mécanique, malgré sa variété, le prédicateur renvoie le remerciement et insiste sur le fait que toutes congratulations doivent être destinées à Dieu dont il est l’ouvrier. Le plus intéressant reste pour l’instant les interactions après le culte (le prêche). Les invitations fusent à haute voix. Le sourire, la construction d’une convivialité, sont importants. Les échanges semblent renforcer l’idée qu’il "est bon pour des frères de demeurer ensemble" comme le dit la chanson, surtout un sabbat. Les individus reviennent sporadiquement sur le contenu de la prédication. Mais l’essentiel demeure dans une interaction, où de manière intuitive, indescriptible, tous construisent un climat, une hutte, hors de la société qui est à "l’extérieur", que le bonheur est actuellement dans l’adventisme, à "l’intérieur" ! La convivialité, la jovialité sont flagrantes. Mais ils ne doivent pas empêcher de remarquer quelque chose de surprenant. Il me semble que les individus, ne s’invitent pas de manière aléatoire. Les échanges semblent être toujours orientés entre les mêmes individus, malgré le souci de montrer une unanimité, un parage sans frontière de la "bonté divine". Comment s’organisent, se structurent ces échanges ? Comment en rendre compte sociologiquement pour dépasser l’intuition et arriver au discours scientifique ? Voilà un défi méthodologique qu’il va falloir surmonter en construisant mon appareillage méthodologique. Comment aussi faire le lien avec une autre impression du terrain : les individus rationaliseraient fortement leur choix parfois extrêmement couteux d’observer le sabbat.

L’échange qui suit que j’ai reconstitué immédiatement après en avoir été témoin, de mémoire, est très parlant sur ce fait. Il s’agit d’un individu que j’appelle Jean-Pierre et qui trouve un encouragement auprès de Marie pour s’être positionné de manière conflictuelle dans son univers professionnel, pour "obtenir son sabbat".

Marie : Quoi que les gens te disent dans ton boulot, tiens ferme la main du Seigneur. Les bénédictions à venir valent toutes les souffrances d’aujourd’hui. Toi tu sais qu’il vaut mieux obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.
Jean-Pierre : Dans cette histoire pour que j’arrive enfin à avoir mon sabbat ce ne sont pas vraiment les gens du boulot qui me perturbent, mais se sont les pressions dans la famille, les silences, le fait qu’on en parle pas. Ce n’est vraiment pas facile quand tu as besoin de soutien que je ne retrouve pas dans une famille non adventiste. Au contraire, c’est l’incompréhension totale.
M. Oui c’est vrai et il faut l’avoir connu. Ceux qui ont des parents, ou des conjoints chrétiens n’ont pas les mêmes problèmes. Moi je me rappelle quand j’ai commencé à suivre le Seigneur. J’ai eu comme toi des difficultés dans mon travail. Cela était encore gérable. J’étais prête à me faire licencier je m’en foutais, mais c’est dans ma famille que cela n’allait pas. Mon mari, surtout lui, je dis surtout, mais en faite ce n’est que lui, qui m’a posé de gros problèmes. Moi je venais d’une famille très catholique tout comme lui. Alors il ne comprenait pas pourquoi je me risquais à perdre mon travail et indirectement à mettre en péril toute la famille. Alors après cela quand il a appris que je donnais au Seigneur son dû, ce fut presque que le divorce ! Mais en tenant bon, en persistant dans la prière, en lui montrant que ma nouvelle foi m’aidait à être une meilleure mère pour les enfants, une meilleure épouse, au fur à mesure cela a été jusqu’à ce que ce soit lui qui me pousse à ne pas abandonner mon combat pour le sabbat et la fréquentation de l’église. Mais ce que je te dis là, cela a duré 5 ans ! Attention ce ne fut pas du jour au lendemain. Par la grâce de Dieu, j’ai trouvé un nouveau et meilleur travail, mon couple comme tous les autres à des hauts et des bas, mais mon époux comprend mon engagement dans l’église adventiste. Tout cela parce que j’ai persisté et que je montrais à tout le monde ma détermination et surtout, surtout, surtout, que ma nouvelle foi faisait de moi quelqu’un de meilleure. Alors tiens bon. Ne penses pas jusqu’à quand il faudra te battre et tenir ; Simplement bas toi et tiens bon. Tu sais aussi que tu peux compter sur tous, moi je suis à ta disposition si tu veux que l’on fasse des démarches, que l’on prie ou qu’on en cause encore.
J-P. C’est vrai si le Seigneur t’a accompagné et bénit c’est que certainement la chose qu’il faut faire c’est lui rester fidèle. Tu ne peux pas imaginer le bien que cela fait de savoir qu’ici on peut partager nos expériences. Et le fait que tu me dises être passée par des travers semblables aux miens, aujourd’hui cela m’encourage. C’est certainement la volonté de Dieu que l’on n’en parle à tout hasard maintenant car tu m’encourages, vraiment tu m’encourages surtout par le fait de voir que ce que tu dis vient de ton expérience et non d’une opinion vague, me touche.

Quelle est cette forme de rationalité que met en œuvre l’individu, où l’observation du sabbat primerait sur :

  1. les gains financiers
  2. l’équilibre de ces relations professionnelles
  3. l’équilibre des relations familiales

Il y a là une perspective à creuser (…) ».

09:35 Écrit par fades | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : Définition, Sabbat, Eglise Adventiste, Groupes religieux minoritaires, Sectes, Sociologie | |  Facebook