Grèves aux Antilles, identité et religion. Acte 2 (05.07.2009)

guadeloupe grève 01.jpgDans notre dernier commentaire sur la dernière grève aux Antilles je notais que le mouvement social est un acte fondateur de la société antillaise. Il inscrit la relation avec l'hexagone dans une dimension conflictuelle. Cette dimension pousse à beaucoup relativiser le vocabulaire utilisé pour qualifier la dernière grève. Soyons précis, parler de « crise » me parait très inadapté. En plus d'être éloigné de la réalité le vocable de « crise » a des influences fortes sur le regard qui peut être porté sur la société antillaise et les propositions dans un contexte d'Etat généraux des Antilles. Par définition la crise est une situation exceptionnelle qui rompt (pix!) avec le normal, l'habituel, le commun, l'attendu. Elle exige de mettre en place une stratégie pour qu'elle soit la plus brève possible. Rien que simple retour pour quelqu'un qui connait les Antilles permet de dire que la notion de crise s'adapte difficile à la dernière grève. En effet celle-ci n'est pas exceptionnelle, était en partie souhaitée et s'inscrit dans une histoire très dense des luttes sociales.

Les grèves, un « dense patrimoine » (Je reviendrai par la suite sur mes sources)

guadeloupe grève 02.jpgOk. J'exagère avec le terme de patrimoine. Mais il a l'avantage de faire comprendre immédiatement ce dont il s'agit. La protestation sociale au travers de grèves est devenue un monde relationnel permanent entre ceux qui ont les forces de production et le salariat antillais, principalement guadeloupéens. La Guadeloupe est d'ailleurs, incontestablement, l'épicentre de la protestation sociale antillaise. La dernière grève l'a rappelé brutalement. Le dialogue social est plus rude qu'en Martinique. Il y est moins rugueux par exemple entre le patronat et les ouvriers.
Lors de la dernière grève de 44 jours menée par le LKP et qui a fait tâche d'huile dans d'autres département d'Outre-mer dont la Martinique, les commentateurs ont au mieux que la Guadeloupe a été le théâtre d'une grève en 1967. Mais cette allusion était très orientée car elle considérait 1967 comme une préfiguration de 1968 en France. Ce raccourci est réducteur comme je l'ai signalé. Des leaders politiques et syndicaux s'y sont arrêtés oubliant de rendre à la Guadeloupe ses particularités. Je ne ferai pas l'historique de grèves aux Antilles. Mais pour illustrer mon propose voici un bref retour sur quelques grèves que j'ai sélectionné.

 

1910.
Jusqu'en 1910 des conflits sociaux sporadiques apparaissent. Ils marquent l'insatisfaction des anciens esclaves face à le traitement de salariés qu'ils découvrent. C'est aussi la période où il y aura des manifestations pour protester face à l'afflux de mains d'œuvres étrangères, à bas prix, pour remplacer les esclaves dans les plantations. Ce sont des petites poussées de contestations très faiblement structurées. A partir de 1910 la Guadeloupe devient l'épicentre de la contestation sociale aux Antilles. A la différence de la Martinique l'Île est moins marquée par la présence de békés, descendants d'esclavagistes et détenteurs des richesses. En Guadeloupe l'abolition de l'esclavage s'accompagna d'une vindicte anti békés. Déjà chassés avant l'arrivée de Richenpence lors du rétablissement de l'esclavage, c'est de la Martinique qu'ils vont organiser avec un succès important un monopole économique de la Guadeloupe.
Février 1910 marque le début de luttes sociales profondes et de masse. Des ouvriers agricoles se mettent successivement en grève. Le 15 février une grève débute en Grande-Terre à l'usine de Darboussier. Après une répression qui aura fait 3 morts, les usiniers qui jusque là refusait la demande d'augmentation de prix de la tonne de canne qui leur était vendu donnent satisfaction aux ouvriers.

 

1920.
Guadeloupe grève 03.jpgDix ans plus tard, ce sera la conquête de la journée des huit heures. Le vendredi 16 juillet 1920, à l'usine de Darboussier une délégation de l'Union des Travailleurs présente trois points de revendication au directeur que sont : 1) La journée de huit heures ; 2) Le maintien des salaires de la récolte pendant l'intersaison ; 3) le non licenciement des grévistes. Le 31 juillet un accord signé entérinant les trois demandes des grévistes. Par la suite il s'étendra à la métallurgie.

 

1925.
En 1925 un autre conflit majeur apparaît. L'objet du conflit est la différence du prix de la tonne de canne à sucre entre usines. L'usine Duval rémunère 66,60 francs la tonne alors que l'usine Beauport payait 68,65 francs la tonne. Las de cette divergence les petits planteurs réclament une revalorisation de la tonne et une uniformisation des rémunérations. Le 3 février ils occupent les ils manifestent dans les usines. Des pourparlers s'engagent rapidement avec les usiniers. Elles achoppent sur une proposition de 70 francs. Durant les négociations des grévistes mobilisent d'autres planteurs restés dans les plantations. Les pourparlers achoppent. Les tensions s'exacerbent et une fusillade s'échangent entre grévistes et gendarmes venus protégés les usines sous ordre du gouverneur. Six manifestants sont tués et sept blessés. C'est la première grande répression d'un mouvement social depuis la fin de l'esclavage.  Les usiniers craignent que les petits planteurs aient des réactions extrêmes contre l'outil de production. De son côté les représentants de l'état redoutent une contagion sociale à l'ensemble des secteurs d'activités. Ces craintes poussent les usiniers au revirement. Ils acceptent de payer la tonne 73 francs, soit plus que ce que réclamaient les petits planteurs.
Le mouvement de 1925 avec sa forte répression et l'obtention de la tonne à 73 francs inscrira le mouvement social dans une logique d'affrontement. Il fera considérer les patrons comme en perpétuel collusion avec l'Etat puisque celui-ci est capable de réprimer. Plus que sur les usiniers la méfiance touchera l'Etat. Certes l'image de celui-ci n'était déjà pas glorieux puisque l'abolition de l'esclavage venait d'avoir lieu soixante dix ans auparavant. Désormais, de manière justifiée ou pas, la classe populaire allait considérer l'Etat français comme un arbitre partiale qui n'hésite pas à tuer au profit de ceux qui détiennent les outils de production. Tous les ingrédients sont présents pour que les mouvements sociaux prennent le chemin de l'expression radicale.

 

1930.
La grève de 1925 reste dans tous les esprits. Ces enseignements sont présents dans tous les esprits lorsqu'en 1930 les usiniers proposent la tonne de canne à sucre 115 francs. De prime à bord cette proposition marque une forte augmentation en seulement cinq ans où elle était rémunérée 73 francs. Mais cette proposition restait inférieure à l'obligation légale. Un arrêté du gouverneur Tellier fixait le prix de la tonne à 126, 75 francs. L'arrêté prévoyait une augmentation des salaires des ouvriers agricole de 10% également. Le 13 février 1930 les ouvriers agricoles mènent une protestation. Des négociations sont menées en présence du Gouverneur entre grévistes et usiniers. Face à la demande des ouvriers d'une augmentation de salaire de 25 à 39% par rapport aux salaires de l'année précédente, les usiniers refusent et les négociations sont un échec. La réaction ouvrière est radicale. Différents sabotage sont dénoncés par les usiniers. L'inflexibilité des usiniers a eut raison des revendications ouvrières et le travail reprend. La grève de 1930 restera un échec dans l'histoire des revendications ouvrières guadeloupéenne. Elle fera toutefois réfléchir la classe ouvrière sur la nécessité d'être bien organisée et représentée lors des négociations avec les usiniers.

 

Autour de 1946
1946 correspond à la Départementalisation dont Aimé Césaire fut la tête de prou. Cette période est marqué par de nombreux troubles sociaux politiques après que de nombreux antillais rentrent de la seconde guerre mondiale avec un sentiment de non reconnaissance par la société française de leur engagement auprès du Général De Gaulle. Période de trouble sociaux, de questionnements politiques, mais surtout de demande de reconnaissance nationale de l'importance des Antilles. Césaire mettre en garde le gouvernement de l'époque sur les enjeux de cette attente. Indiscutablement il n'a pas été entendu.

 

Continuons dans notre tour de sélection de grèves avec celle de 1952
La grève de 1952 restera un évènement sanglant dans l'histoire sociale antillaise. La fin de l'année Guadeloupe Grève 04.jpg1951 est marquée par une revendication des ouvriers agricoles. Les ouvriers employés sur les surfaces des usiniers. S'ajoute une demande de revalorisation du prix de la tonne de canne. Le conflit lancé en novembre1951 dure déjà deux mois. L'année 1952 s'ouvre donc sur un climat social exécrable. Les ouvriers commencent à avoir des actions contre les outils de production et les usiniers demeurent fermes sur leur refus d'accéder aux revendications. Alors que l'épuisement semble gagner des ouvriers, en janvier 1952, les fonctionnaires réclament également une revalorisation des salaires. La grève du secteur agricole fait tache d'huile et un mouvement de grève général illimité est lancé. Durant un mois, la mobilisation est vive. Elle touche toutes les villes sucrières pour se propager à tous les activités de production. Face à l'extension le 11 février 1952 les CRS quadrillent plusieurs villes et se postent pour permettre l'accès aux usines. En réponse les ouvriers érigent un blocage et empêchent l'accès à l'Usine Gardel. Les forces de l'ordre vont intervenir pour démonter le barrage. Postés depuis trois jours, fatigués, les CRS font faire face à la résistance des manifestants. Des coups de feu sont tirés. Quatre manifestants décèdent et 14 sont tués. Devant cette répression les grévistes se découragent et l'ont retiendra de cette grève le caractère sanglant. Mais surtout elle encrera d'avantage les luttes sociales aux Antilles dans une confrontation violente.

Grève de 1967. Beaucoup a été dit : passons donc.

Le lundi 4 janvier 1971 l'Union des Travailleurs Agricoles, syndicat non représentatif dénonce un accord qui vient d'être signé entre la CGTG, la CFDT et le patronat en commission paritaire de l'industrie sucrière. Elle déclenche à Sainte-Rose le lundi 18 Janvier 1971 une grève pour exiger :

1. La reconnaissance de sa représentativité
2. L'augmentation à 27 francs de la journée de travail et la suppression des primes ;
3. L'abrogation du mode de paiement de la canne à la richesse saccharine ;

La jeunesse étudiante et lycéenne s'embrase littéralement. Un vaste mouvement de solidarité avec les travailleurs prend naissance.Autour de la grève et en même temps qu'elle, s'installe un débat de fond sur l'ensemble des problèmes que connait la société guadeloupéenne :
Les autorités religieuses aussi vont se positionner par rapport à ce grand mouvement social. D'abord un prêtre engagé se manifeste au Lamentin en soutenant directement la grève de la canne : il s'agit du Père Chérubin CELESTE, à l'époque aumônier des Jeunesses Catholiques et animateur de la communauté chrétienne du secteur Baie-Mahault, Lamentin, Sainte-Rose.
La grève va largement dépasser les frontières de la Guadeloupe. C'est en Martinique qu'un vaste mouvement de soutien s'organise à l'initiative des organisations politiques patriotiques et du PPM. Dans ce camp là, seul le PCM ne se manifestera pas.
Les Organisations Syndicales Traditionnelles sortiront considérablement affaiblies de la grève de 1971, la contestation s'installant dans leur base et au sein même de leur direction.
C'est également à cette époque que l'UTA mit en place dans des communes où elle était implantée, une "Ecole du Soir" afin d'alphabétiser les travailleurs agricoles et les initier à certaines disciplines scientifiques (Mathématiques - Sciences de la Nature - Economie Politique...).
Avec l'arrivée de l'UTA et à travers la grève de 1971 naissait un syndicalisme guadeloupéen de type nouveau. Si on se réfère au discours des syndicalistes il s'agit, je site « d'un syndicalisme où les masses devenaient enfin maîtresses de leur destin en prenant les rênes de la base au sommet, en élaborant un discours en phase totale avec les réalités sociales et culturelles du pays et en développant des formes d'actions dont elles avaient elles-mêmes la maîtrise ». Ce que ne disent pas les leaders syndicaux c'est qu'il s'agissait d'un syndicalisme populiste, nationaliste.
En dépit de l'importance du mouvement de masse et de la durée de la grève de 1971 - plus de 3 mois - les principales revendications économiques des travailleurs de la canne n'ont pas été satisfaites.

 

1975
A l'instar de celle de 1971, la grève de 1975 sera déclenchée à la suite de la signature d'un accord de trahison des intérêts des ouvriers industriels et agricoles par la CGTG et la CFDT avec les usiniers.
Mais contrairement à celle de 1971, la grève de 1975 n'est pas intervenue comme une révolte populaire canalisée ; elle a été longuement et minutieusement préparée : durant tout l'hivernage 1974, l'UTA-UPG a organisé la séquestration tour à tour de tous les directeurs d'usine. Il s'agissait pour l'UTA-UPG d'une part d'obtenir pour les planteurs une ristourne sur les cannes vendues en 1974 et, d'autre part de faire admettre la présence de l'UPG au sein de la Commission Interprofessionnelle de la Canne et du Sucre. Face à l'inertie des négociations, une délégation composée de deux planteurs (Sostène GENDREY & Rosan MOUNIEN), de deux usiniers (Amédée HUYGUES-DESPOINTES & GARON) et d'un fonctionnaire de l'agriculture COURBOIS) fût envoyée à Paris en Janvier 1975. De conciliabules en négociations, personne ne voulût prendre de décision ni répondre clairement au problème posé à savoir : La fixation du prix de la tonne de canne en Guadeloupe en fonction de son coût moyen de production. Une seule décision fût prise : celle d'envoyer un expert du Ministère de l'Agriculture, l'ingénieur général René SAUGER.
La venue de R. SAUGER en Guadeloupe au courant de la 3eme semaine de Janvier 1975 ne changea en rien les données du problème même si techniquement le dossier avança ; c'est d'ailleurs au cours d'une négociation avec SAUGER à la Sous-Préfecture que le clash se produisit entre l'UPG et les usiniers qui refusaient même les propositions timides de SAUGER en leur faveur. CELA NE VA PAS SANS RAPPELER LA DERNIERE GREVE AVEC LA VENUE DE JEGOT ET PAR LA SUITE DES NEGOCIATEURS.

Face aux tergiversations de l'Administration, à l'intransigeance et à l'arrogance des usiniers et à la capitulation des autres syndicats, l'UTA-UPG et l'UGTG prirent seules leurs responsabilités et déclenchèrent début février 1975 une grève générale illimitée dans l'industrie sucrière.
Pendant un mois et demi, la grève sera totale dans les champs y compris chez les planeurs ; et sera largement suivie dans les usines qui de toute façon ne pouvaient fonctionner sans canne. Ni les usiniers, ni l'administration en dépit des apports répétés des grévistes ne se sentirent obligés d'ouvrir les négociations. Loin s'en fallut...
Nous assistons alors à une sorte de répétition de l'histoire. Des moyens policiers considérables furent mis à la disposition des usiniers : des barrages policiers interdisent aux grévistes l'accès aux habitations sucrières. Les dirigeants de l'UTA-UPG décidèrent avec les travailleurs au cours d'une réunion tenue le 21 mars 1975 de reprendre le travail dès le lundi suivant. Un communiqué fut même publié à cet effet.
C'est alors que le samedi 22 mars 1975 survint un évènement extraordinaire... Là suite lors de la prochaine note. Remarquez que la religion fait son apparition. Nous revenons tout doucement à nos premiers amours.

12:49 Écrit par fades | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : grève en guadeloupe, lkp, guadeloupe, grève aux antilles, eli domota, histoire sociale de la guadeloupe, historique des grèves en guadeloupe | |  Facebook