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Nouvelle Série : L'Education Thérapeutique du Patient - Santé et Religion (I)

Traiter de l'ensemble des pratiques qui peuvent mises en oeuvre pour permettre aux patients de développer des pratiques et une meilleure relation avec les praticiens dans la perspective d'une prise en charge optimale, oblige de plus en plus à intégrer la variable religieuse. Les patients ont leurs croyances, pratiques et attentes basées sur la religion. Les études sur les comportements des cancereux à par exemple démontrée que les pratiques religieuses, ou encore celles dites des croyances populaires influent dans la socialisation du patient aux soins. Afin de comprendre l'importance du religieux il faut, en différentes étapes saisir la place de la religion dans le soin. Cela nécessite de passer par une approche globale qui repose le lien entre religion et santé. Ce sera l'objet des quelques notes à venir aux accents historiques et sociologiques. Par la suite nous proposerons des prolongements actuelles autour de l'Education Thérapeutique du Patient, notamment dans sa relation aux praticiens. Mais pour l'instant voyons, avec la complexité qui y est liée le lien général entre religion et santé. Pour ceux qui sont assidues aux questions liées à l'ETP, le détour sera peut être long et loin des applications pratiques. Mais qu'ils restent patients, les prochaines notes le seront. Promis.

 

 

 

Religion et santéQuel que soit l’angle retenu, la relation entre religion et santé apparaît ancienne, voir fondatrice dans toute société. Si on se réfère par exemple aux discours évolutionnistes, on constate, selon cette approche une véritable imbrication entre savoir religieux et préoccupations médicales. En effet, selon cette vision de la genèse, c’est-à-dire sur l’origine du monde, une étape majeure de l’évolution aurait été la conscience et la ritualisation de la mort. L’apparition de rites funéraires marquerait, toujours selon les chercheurs évolutionnistes, une prise de conscience spécifique à l’espèce humaine. Cette prise de conscience, pour rester dans le contexte de notre échange, traduirait également l’existence d’un lien singulier entre religion et santé. En effet, un point fondamental dans le discours évolutionniste demeure l’adaptabilité au milieu. Les espèces vivantes, dont les ancêtres de l’Homme se seraient adaptées au milieu, pour survivre et se reproduire. Au cœur de cela il y a la prise de conscience que l’adaptation au milieu sélectionne les espèces dont la santé elle-même s’adapterait le plus facilement au changement climatique, aux exigences du relief, et aux contraintes de la survie. Ce qui est marquant dans cette manière de concevoir l’histoire du Monde, c’est que la santé apparaît déjà comme un capital auquel il va falloir porter toutes les attentions. La survie en dépend.
Une autre vision du monde, celle qui s’appuie sur la religion, par opposition aux discours évolutionnistes, note également la centralité ancestrale du lien entre religion et santé. C’est un constat qui transcende finalement de nombreuses divergences, même importantes.
Dans toutes les sociétés, il y a un lien historique, moderne et complexe avec la religion. Que l’on regarde ce lien avec l’œil d’un évolutionniste, celui d’un théologien ou encore d’un sociologue, il reste omniprésent.
Que ce soit chez les civilisations des plus anciennes aux plus récentes le religieux a toujours porté un regard particulier, voir fondateur sur la connaissance médicale. Plusieurs exemples célèbres le démontrent. Chez les civilisations mésopotamiennes, antédiluviennes, les archéologues bibliques notent que les prêtres étaient des individus qui avaient un savoir médical en plus des connaissances religieuses. Cela conférait un statut privilégié. Les prêtres égyptiens, chaldéens, babyloniens étaient dans la même situation. Chez les grècs, à qui l’on reconnaît un effort de rationalisation, les dieux et déesses avaient la capacité d’interférer sur la santé. De fait, se sont là aussi les prêtres qui avaient un statut d’intermédiaire qui leur permettaient d’influer sur les dieux.
On peut multiplier les exemples y compris dans les sociétés qui nous sont lointaines. Par exemple, chez les Mossi du Burkina-Faso, le devin, est celui qui détient un savoir médical particulier, voisin de la place du psychiatre dans notre société. Comme dit le Mossi, « le devin voit l’intérieur des choses », sous entendant qu’il est capable d’orienter nos regards différemment sur nos problèmes pour que nous les abordions autrement. Dans les cas où il y a maladie cela est important pour s’acheminer vers la guérison.
Dans la Caraïbe, l’Amérique du sud, le Chaman est un personnage charismatique qui a un savoir religieux et médical. D’ailleurs, souvent les deux sont confondus. C’est ce dernier qui dans les sociétés d’Amérique du Sud soigne efficacement une pathologie appelée le Sustos, dont les caractéristiques sont proches de la dépression et qui reste encore un champ scientifique à l’étude.
Il ne faut pas croire que les sociétés occidentales ou très fortement soumises à l’influence occidentale, ne laissent pas de place à un lien étroit entre religion et santé.
L’histoire de l’Europe occidentale, au travers notamment du catholicisme est fortement marquée par le lien étroit entre religion et santé. Les Saints guérisseurs catholiques en sont des figures marquantes, même si au sein de l’Eglise ils ne rencontrèrent jamais l’unanimité. Que ce soit Saint Gaud, Saint Appoline, Sainte Véronique ou encore Sainte Agathe, on est face à des personnages qui ont développé une potentialité inexpliquée qui apportait soulagement et parfois guérison.
Les moines et saints catholiques ont indiscutablement permis, de développer une approche sanitaire. En effet en plébiscitant un retrait de la société par la vie monacale, il a bien fallut, pallier aux inconvénients de l’isolement en étant par exemple autonome pour ce qui est de la production de soin. De fait, les moines ont souvent été à la pointe de l’innovation médicale durant des siècles.
Plus largement, dans une vision humanitaire du christianisme, le catholicisme a développé au travers de prêtres et de moines le souci de créer les conditions pour que les individus soient capables de recevoir la Parole. Cela passait par une bonne santé. Le protestantisme américain du XIXe amplifiera cette démarche.
Alors que l’Etat était incapable de répondre aux besoins primordiaux des individus, l’Eglise a assumé avec ses défauts, mais aussi ses qualités la fonction sociale d’assistance. Ainsi aux saints guérisseurs il faudrait rajouter des figures importantes du catholicisme comme Saint François d’Assise, Saint Vincent de Paul qui réalisèrent des actions sociales de grandes envergures. On pourrait dire qu’il s’agit de figures à relativiser. Certes, mais elles ont donné leur nom aux plus grandes institutions hospitalières de France par exemple. Voilà qui nous permet de noter que la prise en charge sanitaire est fortement marquée par le religieux et cela au cœur du système hospitalo-centrique moderne.
Les liens entre religions et santé n’ont jamais été de tout repos. Après la révolution et l’Empire, l’ambition de l’Etat était de reprendre en main les structures hospitalières. Avant cela, la prise en charge des malades, les protocoles, la déontologie, étaient religieuses. Pour asseoir son pouvoir le politique devait autonomiser, séparer, le savoir médical du religieux. Trois éléments majeurs allaient le permettre.

Premièrement c’est la création d’universités indépendantes. Le savoir médical allait se construire, se transmettre en toute autonomie. Deuxièmement il y a les fixations de l’Eglise sur certains dogmes qui allaient à l’encontre du développement de la science et donc du savoir médical. Enfin, il y a les réussites thérapeutiques des institutions et chercheurs, qui en France, allaient finir par convaincre d’une supériorité du savoir universitaire avant l’heure, dans le contexte d’une relation tendue entre politique et religion catholique principalement.
Aujourd’hui, une législation qui veille à ce que la pratique médicale reste dans les canons universitaires s’est développée. Les codes de la santé publique et autres textes législatifs renferment un nombre considérable de dispositions qui garantissent la centralité du savoir universitaire, par opposition aux savoirs religieux et traditionnels. Cela n’empêche pas le savoir médical d’être traversé profondément par des héritages de son histoire religieuse et des influences des croyances religieuses des sociétés dans lesquelles il s’insère.
Ne pas prendre en compte l’importance du religieux dans le rapport à la santé implique une méconnaissance grave de la santé, de son histoire politique et institutionnelle, voire de sa définition même. Prenons par exemple une définition qui fait consensus à savoir celle de l’OMS : la santé « est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
Ce qui a de marquant dans cette définition c’est la notion de bien être que j’ai effleurée en introduction. L’idée de bien être n’enferme pas la santé dans une conception uniquement biomédicale. Elle prend en compte l’idée, les représentations que nous avons sur notre propre santé.
Regardons bien : selon cette définition, les mesures, les diagnostics médicaux et leurs éventuels bons résultats, ne suffisent pas à dire d’un individu qu’il est en bonne santé. Le taux de plaquette, le taux de globules blancs, l’excellent état général des organes, la bonne alimentation etc., en un mot l’excellent état physique ne suffit pas à parler d’une bonne santé. Dans la notion de santé, de bonne santé, il y a la conviction qu’a le patient, l’individu qu’il est en bonne santé, sa relation à son propre corps. C’est d’ailleurs un principe central.
Ce point est très important et doit pousser le praticien à une forte humilité. Combien de fois des patients ne se sont-ils pas rendus à des consultations avec des plaintes peu ou prou claires, et que le médecin, en s’appuyant sur l’analyse organique, arrive à la conclusion « monsieur, madame, vous n’avez rien ». L’individu s’en va, faisant mine d’être satisfait, mais convaincu que son trouble, ses maux, n’ont pas été décelés. De plus, le praticien désigne souvent le « stresse » comme étant une explication. Notez, bien que ce n’est pas le but de notre propos, que le mot de stress, est dans la quasi-majorité des cas, un vocabulaire du praticien, pour dire « qu’il ne sait pas ». Une exception demeure : le psychiatre qui sait qu’il faut aller chercher derrière les mots du patient autre chose. Continuons cette parenthèse en indiquant que l’invention de la psychanalyse pas Freud, de manière anecdotique, relève de cette impossibilité de la science médicale à souvent savoir dire qu’elle ne sait pas. Je referme la parenthèse.
Que retenir ici. Je ne suis pas entrain de dire que les sciences médicales sont inopérantes. Notons qu’un regard sur la santé en terme uniquement organique, limite la capacité à comprendre, de cerner, la maladie. En insérant l’idée de bien être, l’OMS a fort bien compris que la relation qu’a l’individu avec son corps est une variable déterminante dans la construction de la santé. Cette relation, cette représentation, les sensations qu’il développe avec et sur son corps son évidemment alimentée socialement. Notre éducation, notre famille, nos rapports avec nos amis, nos expériences anciennes avec la souffrance, le deuil, sont des choses non exhaustives qui alimentent notre capacité à construire une notion de bien être, où le savoir médical n’est qu’un élément, certes capital. Notre tradition culturelle, au sein de laquelle on retrouve la religion est aussi déterminante. En effet le savoir religieux peut influer sur l’idée que nous nous faisons du bien être et donc de la santé. Ce savoir peut aller jusqu’à supplanter le savoir médical. Nous reviendrons sur ce point.
Il est évident, mais important de rappeler qu’il n’y a pas que le savoir médical qui influence la notion de santé. Combien de fois par exemple, dans un cabinet, un médecin, un infirmier, une sage-femme doit faire preuve de patience, de pédagogie, pour expliquer au patient le bien fondé de ce qu’il dit, fait, prescrit, parce que ledit patient arrive avec des certitudes fantaisistes héritées.
Autre chose : rappeler que la santé est surtout une représentation que nous nous construisons sur le bien être permet d’insister sur un point marquant : la définition de la santé n’est pas stable. Elle varie dans le temps. Ce que l’on considérait être une bonne santé il y a quelques années, quelques mois, ne l’est plus aujourd’hui parce que le savoir médical évolue.
Regardez : l’émergence de la diététique et de la nutrition en général a mis en évidence la nécessité de manger équilibré. Avec les avancées de la nutrition les graves méfaits de la surcharge pondérale a été mis en évidence. Pourtant il y a quelques années de cela, être gros était un gage de bonne santé. De plus socialement on envoyait l’image de l’abondance. Celui qui avait un ventre important envoyait le message qu’il pouvait se le payer, à la différence du pauvre ouvrier qui se rationnait et donc était mince. Un tel comportement apparaîtrait aujourd’hui comme une folie.
Un élément qui influence et participe à faire évoluer notre sentiment de bien être est la religion. Elle demeure le principal pourvoyeur d’influence sur nos comportements y compris sanitaires. Comprendre donc l’interaction entre santé et religion est capital pour le praticien et le patient. L’un aura une pratique médicale plus consciente des enjeux, tandis que l’autre aura la satisfaction d’être approché dans sa globalité et non comme un simple amoncellement d’organes.

 

 

 

Considérer la religion comme un élément constitutif de la notion de bien être est donc très important. En des termes justes, profonds, engagés, le Révérend Desmond Mpilo Tutu, Archevêque émérite du Cap et lauréat du Prix Nobel notait le 20 mai 2008, devant la 61ème Assemblée Mondiale de la Santé disait : Comme vous le voyez, la foi et la santé ont marché main dans la main depuis longtemps. La santé n’est pas seulement le fait d’être libre de toute souffrance et de toute maladie mais, comme l’affirme votre Constitution : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. ». Ces mots sont l’écrin de votre principale raison d’être ici et sous-entendent que nous avons quelque chose à partager dans notre engagement vis-à-vis du monde, ensemble. Peut-être serait-il bon pour nous de reconnaître aussi qu’il y a une relation intrinsèque entre Dieu et l’humanité, qui peut être reconnue comme un « bien-être spirituel » ? (Extrait de :Allocution prononcée à la Soixante et Unième Assemblée mondiale de la Santé par le Révérend Desmond Mpilo Tutu, Archevêque émérite du Cap et lauréat du Prix Nobel, Genève, mardi 20 mai 2008)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toute la question est donc de savoir sil peut exister de liens apaisés, constructifs entre religion et santé ? N’existerait pas une approche religieuse de la santé qui serait compatible avec la quête déontologique, la rationalité, la prévention, l’innovation thérapeutique, les exigences comptables de la politique de santé publique, le savoir universitaire, etc. ? La notion de religion de la santé tend à répondre oui à cette question. Elle prend le contrepied des représentations classiques du rapport entre religion et santé.
Venons-en simplement. Qu’est-ce que l’on appel religion de la santé ? En quoi les religions de la santé, dont l’adventisme permettent-ils d’établir des liens constructifs avec le savoir médical ? Disons déjà ce que n’est pas une religion de la santé. Il ne s’agit pas d’une vénération, d’une adoration de la santé ou du bien être. Il ne s’agit pas de religion de guérison. Les religions de guérisons sont autre chose que les religions de la santé. Les termes se ressemblent mais il faut absolument se rendre compte de la différence.
Régis Dericquebourg définit les religions de guérison dans son ouvrage du même nom, religions de guérison, comme des organisations qui :

 

 

 

  1. situent la maladie et la guérison au premier plan de leur croyance et de leurs pratiques

  2. ont des thérapeutes religieux qui sont des virtuoses

  3. LE miracle y est reproductible et en ce sens il enchante le monde

  4. les fondateurs prétendent avoir soufferts de troubles physiques qui les ont sensibilisés à la maladie et qui ont été à l’origine d’une recherche. La maladie est donc initiatique

  5. Elles considèrent le salut comme individuel et en conséquence développent peu de cérémoniels.

  6. Elles ont une véritable théorie de la maladie et du traitement efficace.

  7. L’acquisition de bienfaits en est une fonction essentielle qui par traitement ouvre vers un salut post-mortem

  8. Si dans ces groupes on vise la guérison, on s’efforce avant tout de ne pas tomber malade. Une ascèse de prévention cohabite avec les pratiques de guérison.

  9. Et pour finir elles sont résolument optimistes car elles sont persuadées que les hommes peuvent guérir physiquement ou moralement, s’améliorer et œuvrer par leur spiritualité au progrès de l’humanité.

On retrouve cette vision du monde chez les Antoinistes fondé par Saint Antoine. Une telle approche de la santé et de la guérison est aussi présente chez Mary Becker Eddy (au fondement de la Science Chrétienne). On l’a retrouve également au sein de l’Initiation à la Vie avec Yvonne Trubert. On peut y intégrer la Scientologie créée par Ron Hubbard en raison de l’amalgame « des éléments du bouddhisme, du gnosticisme et d’une psychologie qui glisse vers une thérapie des vies antérieures ».
Avec les religions de guérisons dont je viens de rappeler les caractéristiques et quelques groupes religieux qui l’illustrent, il y a une relation de tension, institutionnalisée avec la maladie et le savoir médical. Le thérapeute peut être un individu charismatique sans aucune connaissance médicale éprouvée et sanctionnée. Il y a même une défiance envers les sciences médicales.
Les religions de guérisons vont, quelque part réécrire le leader charismatique guérisseur en y retenant une fonction essentielle : la spirituelle. Toute maladie a son versant spirituelle et la thérapie de ne peut en faire l’économie. Elles vont retenir l’effet pratique. Elles vont pour la plupart se détacher de la notion de péché. Ce détachement est certainement essentiel, car le péché véhicule une liaison avec la divinité particulière qui fait disparaître dans certaines lectures la responsabilisation individuelle. D’autre part, parler de péché c’est aussi faire référence à la divinité dans plusieurs de ces aspects y compris dans son omniscience qui peut décider de laisser exister la maladie que veut combattre les religions de guérison. Les religions de guérison sont un terreau de malentendus avec la société dans sa politique de santé. En basant la thérapie uniquement sur le spirituel elles s’écartent des exigences du code de la santé, du code de déontologie et plus largement aux exigences de santé publique. Elles peuvent considérer d’ailleurs la médecine conventionnelle comme contre-productive. Il n’est pas rare de voire une opposition entre religion de guérison et exigences médicales. Elles sont constitutivement différentes des religions de la santé.
CEci conduit à noter que les religions de la santé ont pour spécificité de créer un lien positive avec les sciences médicales, les croyances et la vision globale du soin. Elles deviennent de plus en plus pertinentes, utilisables, pour sensibiliser des patients qui manifestent une réceptivité à la religion dans leur parcours de soin. CEtte déclinaison concrète pour l'ETP formera la suite de notre propos qui aura des accents très pratiques.

 

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