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Chronique d’une commémoration lilloise (2)

Suite à la demande des participants, mon allocution en mairie de Lille, faite au nom de l'ensemble des associations qui ont porté ce projet. En cas de reporduction, toute ou partie, merci de mentioner la source: Fabrice Desplan, Intervention protoclaire à l'occasion de la commémoration de l'esclavage au nom de l'ensemble des associations porteuses, Mairie de Lille le 10 mai 2005.

Allocution protocolaire
A l’occasion de la Commémoration de l’esclavage,
de la traite négrière et de ses abolitions


Madame le Préfet,
Madame le Maire,
Mesdames, Messieurs les élus,
Associatifs,
A tous,

            Au nom de l’ensemble des associations qui ont participé à la conception, à la préparation et à l’exécution de cette journée, nous vous remercions de la sensibilité envers la question de la mémoire, que manifeste votre présence et soutien. Plus précisément, votre participation comme représentant de l’Etat et de notre ville, montre bien qu’en France, l’apport des populations qui ont subit l’esclavage et qui connaissent, dans un contre coup de l’histoire, des situations sociales dures, vous est chère.
         Le 10 mai est désormais une date qui offre l’occasion d’échanger pédagogiquement sur les périodes les plus sombres de notre histoire, tout en constatant la construction de libertés qui en jaillit.
En conformité avec nombres de partenaires associatifs, de décideurs sensibles à la problématique nègre en France, nous avons choisi de placer cette journée sous l’angle de la pédagogie. Le but est, loin d’une logique contritionnelle malgré les inhumanités que connurent les peuples noirs, de transcender ensemble, les douleurs, pour que l’histoire nationale s’enrichisse de l’apport de tous.
Cela n’empêche pas, dans la lignée de la loi Taubira de noter à nouveau que l’esclavage est un crime contre l’humanité. Il trouve ses sources dès la naissance, de l’humanité, et existe aujourd’hui dans des formes de plus en plus perverses. Parmi tous les esclavages que connut l’histoire, la traite négrière se spécifie pour avoir été un crime, un temps légitimé par des appareils d’Etat, avec une logique industrielle, au détriment d’êtres auxquels on refusait toute lumière. C’est grâce à des esclaves marrons, dont on ne retient plus les noms, puisque défait par le système esclavagiste du droit à l’identité, que nous devons l’acquisition, par le sang de la liberté de jouir à Lille, du bonheur d’être ensemble dans une égalité de principe.
         En votant la loi Taubira, le législateur a pointé du droit, en précurseur des mentalités, la spécificité de l’injustice que fut l’esclavage des peuples noirs. L’honneur de cette reconnaissance grandit la France.
De fait, l’abolition de l’esclavage est loin d’être un unique acquis des peuples noirs. En effet, si l’abolition, a été une étape majeure dans le respect du nègre, elle est aussi une délivrance pour l’oppresseur. Cela renvoie à l’ambition de notre journée. S’il y a une chose que nous voulons que vous reteniez, c’est que, l’abolition de l’esclavage est une problématique actuelle. Elle montre que, les libertés, pour être pleinement vécues doivent être partagées. Autant le colon esclavagiste ne pouvait pas apprécier la véritable liberté en opprimant, autant aujourd’hui nous ne pouvons nous considérer comme pleinement libre, tant que perdure les formes modernes de l’esclavage. Ainsi l’abolition de l’esclavage ne doit pas s’enfermer dans une question noire, dans une histoire antillaise, dans les rapts en Afrique, ou encore dans les champs de cannes de la Réunion. C’est désormais un bien commun.
C’est cette lecture ambitieuse du partage universel de l’abolition qu’avait Toussaint Louverture. Fondateur du premier Etat nègre Haïti sur Hispaniola, ce grand général appliqua simplement les principes des Lumières en combattant l’injustice esclavagiste par les armes, pour arracher de Napoléon le droit à la liberté. Paradoxe des paradoxes, toujours en prenant le sens profond de chaque geste, de toute production culturelle, Louverture et Dessalines allaient en guère contre Napoléon, le drapeau français en main, sur les rythmes d’une forme de "marseillaise", donnant naissance à Haïti, « le premier endroit où la négritude se mit debout ».
       C’est fort d’une même lecture des libertés qu’offre la République, que l’ensemble des associations noires ont saisi l’occasion de faire de l’Hôtel de ville, maison des citoyens, un espace d’échange des libertés. Alors que dans le passé l’empire au sein des ses lieux de prise de décision organisait le démembrement de peuples, aujourd’hui en Mairie de Lille, ensemble, nous constatons qu’il est possible de voir triompher les libertés.
Ce 10 mai, au sein de l’Hôtel de Ville, dans un pied de nez à l’histoire, nous marquons notre amour commun pour l’égalité des peuples, symboliquement, là, où l’inégalité était énoncée. La population noire lilloise, jouant le jeu de la République émet aussi, de façon forte, son désir que se concrétise l’ambition de cette journée, en lui donnant des prolongements dans les réalités quotidiennes de chaque nègre lillois.
Comme les artistes l’ont montrés au travers de la fresque historique, nous marquons, ici, dans cette maison des citoyens, un pas important dans le Chemin de la liberté. Dans cette ville, cette région qui connurent également d’autres inhumanités, être ensemble pour que plus jamais des peuples soient officiellement opprimés, dans une condescendance coupable, est important. Ensemble protégeons notre bien commun qu’est l’idéal égalitaire, qui doit aujourd’hui être une expérience concrète du quotidien.
        L’envie est de terminer sur une note heureuse, en raison des victoires que marquent ce simple rassemblement, sur les mercenaires de la liberté que sont toutes les pensées totalitaristes et racistes. Mais, malgré la joie de cette constatation, on ne peut honnir les nouveaux esclaves que sont les femmes sur les trottoirs, les enfants soldats, les apatrides, ou encore les bannis de la croissance économique. Notre souhait en tant qu’ensemble associatif porteur de cette journée, est que ces inhumanités, soient combattues, avec la même énergie qu’eurent les nègres marrons face aux baïonnettes. Ceux-ci nous rappellent, à nous qui devons faire face aux esclavages modernes, qu’aucun combat contre les inégalités est perdu d’avance. Puisse les esclaves modernes ne pas attendre, eux aussi, plusieurs siècles avant de pouvoir se tenir debout comme des citoyens de plein droit, et pleins de droits, dans la maison communale. Si tel sera le cas, le combat que nous sommes entrain de gagner dans la transmission pédagogique des acquis libertaires des peuples noirs seraient un échec. A nous, ensemble, de contaminer de libertés les poches de résistances les plus inhumaines,
Merci.


Fabrice Desplan, Sociologue,
par délégation du bureau de l’Association des Commerçants et Acteurs Economiques Afro-Antillais du Nord Pas de Calais,
avec l’appui du Collectif Lille Afrique 2000, Fédération d’Associations.

Version PDF de l'allocition protocolaire : allocution_protocolaire.pdf

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