Nous avons déjà beaucoup parlé des adventistes. Pourtant après avoir passé en revue rapidement les 175 notes échangées ici, je remarque que nous n’avons jamais parlé de prière. Et pourtant, on ne peut pas aborder l’adventisme sans ce point. Il faut dire qu’il reste compliqué à approcher sociologiquement. Les anthropologues réalisent de magnifiques descriptions de la prière. Les philosophes en dissertent encore. C'est un élément central pour le théologien. Concernant l’adventisme en particulier : comment parler, du point de vue du sociologue de la prière, sommairement ici ?
Ce qui m’a convaincu de vous parler de la prière est cette situation très explicite rapportée par l’AFP le 1er mai dernier. Des adventistes (la dépêche ne parle pas en termes exclusifs) investirent des stations services aux USA, pour prier, publiquement, en demandant à Dieu, d’intervenir pour faire baisser les prix à la pompe. Pour le non initié aux groupes millénaristes messianiques protestants, comme l’adventisme, et qui se donnent une mission évangélique, le tableau peut paraître ubuesque. Comment des individus peuvent-ils, en public, sans crainte du ridicule, en faisant fi des lois économiques, en oubliant la géopolitique, demander à Dieu d’intervenir sur les prix de Total, Exxon, ou autres Shell et BP ? D'ailleurs sans dans la rubrique "Insolite" que ce fait a été repris dans quelques rares journaux. Pour comprendre cela, du point de vue du sociologue, regardons les fonctions sociales de la prière.
Dans la théologie adventiste, la prière garde les caractéristiques génériques du protestantisme. Elle est le produit d’une intimité entre le croyant et la divinité, Dieu. C’est par son biais que l’individu va entretenir l’essentiel de sa relation avec Dieu. De fait, la prière illustre bien le protestantisme, dans son versant dit individualiste. Seul, dans la confidence, le croyant s’adresse à Dieu.
La littérature sociologique, en raison de cette intimité où aucun intermédiaire n’apparaît entre Dieu et le croyant a décrit les groupes comme les adventistes, comme individualistes. Le terme, en raison de sa connotation moderne et péjorative me semble excessif. Il faudrait plutôt parler d’un aspect personnel et pas obligatoirement individualiste.
Avec la prière, ce sont deux entités, deux individualités (vous voyez encore pourquoi le terme d’individualiste est utilisé !) qui se rencontrent. Mais pas n’importe lesquelles. Le croyant imparfait, fini, rencontre le Dieu parfait, infini. En conséquence, uniquement sur le plan de la définition, nous pouvons affirmer que symboliquement, la prière est le lieu de la rencontre de l’improbable. L’individu va se hisser (le terme est maladroit) au niveau de Dieu. Comment cela reste possible ? Là il faut aller voir dans la littérature théologique adventiste. Ici intervient un personnage central : le Christ. Je vais tenter de faire rapide et simple. Pour les adventistes, de part sa vie parmi les mortels, le Christ connaît très bien les complexités humaines. Comme Fils de Dieu, il est le personnage qui fait donc lien entre Dieu et les hommes. Attention, cela ne veut pas dire que Dieu avait besoin de voir son Fils mourir pour comprendre les hommes, non. Mais l’inverse ; il fallait rendre Dieu accessible à l’humain.
Si vous me suivez bien jusque là, ipso facto, en croyant en la divinité de Jésus, en acceptant son caractère messianique, le croyant trouve une passerelle, un pontife (petit coucou vers les critiques protestantes au catholicisme) permettant d’accéder à Dieu.
L’acte individuel de prier pour le sociologue, dans son essence même, n’est finalement pas si individuel que cela. C’est pour cela que le terme individualisme est me semble maladroit. Dans sa définition, son fonctionnement, il fait intervenir, dans l’adventisme et plus largement dans le protestantisme, plusieurs entités. Au minimum nous retrouvons donc : Dieu, le Christ et le prieur.
Mais encore plus. Comme le montre l’anecdote sur les prix à la pompe, prier est un acte qui dans la majorité des situations, revêt un aspect profondément social. On le retrouve dans la prière dite collective. Qu’elles sont ces particularités et les effets de celles-ci ?
Premièrement on peut parler de l’effet de cohésion de groupe. Il est classique. En priant ensemble, les individus « soulèvent les montagnes ». Ils font, demandent, ce qui seul, peut apparaître comme incongru. Je prends un exemple.
Souvent des individus, à haute voix, prient seuls. Pourtant, il n’y a pas de dépêche AFP dans ce cas! Au mieux on dirait que « le pauvre homme a perdu la tête », si nous le croisons à l’essencerie. Mais le fait qu’il y ait une prière de groupe, une action collective, cela interpelle. Pourquoi? Parce que la prière collective, s’adresse à trois interlocuteurs différents :
Evidemment, les individus s’adressent à la divinité. Deuxièmement les prieurs communiquent entre eux, serait-ce par le fait qu’il faille s’organiser ou encore écouter. Mais chose plus importante, ils interpellent ceux qui ne prient pas. En priant, publiquement, il y a donc une injonction sociale. Le groupe démontre sa foi et l’intensité de celle-ci (ils ne craignent les rires). Cette injonction sociale a pour but de provoquer l’étonnement en affirmant la Toute-Puissance divine. Dans les stations services, les individus illustrent, grandeur nature, les conséquences de la foi. Ainsi, ils appèlent les individus, sans le dire, à accepter de croire en Dieu, surtout que c’est un Dieu qui entend les prières. La preuve, ils prient.
Mais encore plus intéressant dans notre cas des prix à la pompe. En investissant les stations services, les prieurs démontrent à leur entourage, que Dieu n’est pas une entité abstraite. Il peut intervenir sur des sujets qui préoccupent la vie quotidienne de chaque individu. S’il peut baisser le prix de l’essence, résoudre d’autres problèmes intimes, complexes, douloureux, est chose aisée.
Vous le voyez ; l’exemple de la dépêche AFP sur les adventistes qui prient pour la baisse des prix dans une station service aux USA implique plusieurs interactions sociales, qui ont chacune des sens et ambitions différentes. Il y a l’affirmation de la croyance Dieu et en sa Toute-puissance. Il y a également, l’affirmation que le groupe, ici adventiste, s’investi concrètement dans les préoccupations du quotidien. Et troisièmement, la prière collective démontre et renforce l’identité du groupe. En d’autres termes la prière a trois dimensions :
- Une dimension personnelle
- Une dimension intra groupale, endogène (qui concerne les membres du groupe)
- Une dimension exogène (qui interpelle les individus non membre du groupe).
Il faudrait développer chacun de ces points encore. Mais notez déjà que toutes ces dimensions sont présentes dans toutes les prières d’un individu membre d’un groupe religieux comme les adventistes. Même la prière intime, réalisée chez-soi dans la discrétion. Cela surprend ! Je vous laisse sur cette surprise car il faut toucher un autre point.
Continuons à effleurer le sujet : Les individus croient-ils que Dieu va baisser les prix ? Si le contraire se passe, ne sont-ils pas discrédités, et in fine leur manière de croire en Dieu également ?
Si vous avez suivi l’implication de la prière dans les trois formes de relations sociales (personnelles, endogènes et exogènes) la question sur l’effet concret de la prière est peu importante. Evidemment, si le prix à la pompe baisse, peut être que les individus diront que leurs prières étaient pour quelque chose. Quitte à surprendre encore. Le but premier n’est pas que les prix baissent, mais plutôt de renforcer chacune des dimensions. Cela n’exclue en rien l’attente d’une baisse des prix évidemment !
Voilà qui nous permet de terminer plus simplement sur le caractère incertain de la prière, ce qui l’a différencie fondamentalement de l’acte magique. J’insiste sur ce point car souvent dans la littérature anthropologique, il y a une comparaison naïve entre prière et magie. Alors que la magie désire absolument intervenir sur le présent, à la différence, la prière, n’est qu’une demande d’intervention où l'individu apparaît soumi à Dieu. Ce n'est pas lui qui mène la danse comme dans les rituels magiques. De fait, les croyants doivent s’attendre à ce que Dieu n’intervienne pas, ne répond pas comme ils le souhaitent. Dieu est Tout-Puissant. Sans le comprendre il doit accepter que Dieu ne lui accorde pas ce qu’il désire. D’ailleurs la littérature biblique et la littérature religieuse pullulent de situations identiques.
Pour dire les choses simplement, finalement avec la prière, considérée dans les trois dimensions énumérées, ce n’est pas la réponse qui compte, mais l’acte de prier lui-même. Ce n’est pas la baisse du prix qui compte, mais le fait de prier, que le croyant manifeste sa confiance en Dieu pour vivre, dans des conditions économiques difficiles, et qu'il invite ses concitoyens à faire de même.