Dans les deux précédentes notes de cette série j'indiquais quelques défis pour l'Eglise adventiste. Les évolutions de la société française poussent cette communauté religieuse à amplifier les actions qu'elle mène à l'intersection du religieux et des attentes sociales. Santé, écologie, libertés fondamentales, actions humanitaires et sociales, sont des domaines où l'adventisme a une expertise. La surprise est que cette communauté valorise peu ces points.
A ce constat, je rajoutais un autre défi central : les changements dans l'organisation adventiste. Une meilleure rationalisation des dépenses et de la gestion des ressources humaines est à l'ordre du jour.
Ce constat institutionnel a des conséquences multiples. Je m'arrêterai sur quelques-uns de manière non exhaustive. Commençons par regarder des suites attendues de l'adhésion à la Fédération Protestante de France.
La continuité de l'adhésion à la FPF
L'adhésion à la Fédération Protestante de France a déjà été largement analysée. Je rappelle que dans l'ouvrage, Ces protestants que l'on dit adventiste, que j'ai codirigé avec Régis Dericquebourg, Sébastien Fath pose le cadre de la relation entre adventistes et protestants. Jean-Paul Willaime y indique les enjeux du rapprochement entre l'Eglise adventiste en France et la FPF. Dans ce même ouvrage Richard Lheman revient sur les contraintes que durent surmonter en interne l'adventisme, car il s'agit [c'est moi qui l'ajoute] d'une véritable révolution épistémologique pour les adventistes. Cette révolution est inachevée. C'est son achèvement qui reste un défi. Je m'explique.
Naissant en terre protestante américaine au XIXe siècle, l'adventisme progresse en concurrence avec les autres communautés protestantes. C'est une religion de mission, qui se veut idéalement constituée de confessants, de membres engagés. La théologie adventiste va se développer dans ce même dynamisme. Elle veillera à se démarquer des autres protestants. L'identité adventiste se construira en opposition théologique avec les protestants, mais surtout dans une double stigmatisation. La première vise à pointer des divergences fortes et donc à s'isoler dans l'univers protestant. Certains adventistes auront même du mal à intégrer qu'ils sont partie prenante du protestantisme ! La deuxième stigmatisation consistera à se considérer comme le véritable protestantisme, susceptible d'être une victime d'un rapprochement d'intérêts entre les autres groupes protestants et le catholicisme. Cela va par exemple alimenter la crainte adventiste de l'apparition de législations (loi du dimanche par exemple) dont la finalité cachée serait la recherche de son extermination.
Ce positionnement va laisser des traces dans le regard des protestants sur les adventistes. En France, dans les lieux de formation protestant, l'adventisme était présentée comme une secte incompatible avec le dynamisme protestant.
L'adhésion à la FPF est donc une véritable évolution sachant que les autres organisations religieuses non-sabbatiques étaient considérées comme babylone par l'adventisme ! Et on pourrait rajouter d'autres arguments et exemples pour montrer la culture de l'éloignement, de la différence avec les autres protestants qu'entretenait l'adventisme. Il s'agit bien d'une révolution épistémologique qui a nécessité des décennies. Que d'évolutions, que de chemins parcourus, pour voir aujourd'hui un adventiste trésorier de la FPF ! Elle résulte d'une véritable révolution épistémologique.
Cette révolution épistémologique a été une révolution d'appareil. Qu'est-ce que j'entends par là ? Simplement que ce sont des dirigeants adventistes, opposés souvent vigoureusement à d'autres, qui sont parvenus à imposer la nécessité de se rapprocher en France de la FPF. L'adhésion à la FPF est donc avant tout un rapprochement entre deux institutions. Les responsables adventistes qui ont eu cette responsabilité légitimement, parlent d'une adhésion communautaire. C'est une grande différence avec l'analyse sociologique. En effet le rapprochement d'institutions n'est pas une adhésion communautaire. Les décideurs, les administratifs, les fonctionnaires, les procédés organisationnels de l'adventisme ont adhéré à la FPF. Et le succès est là puisque les responsables adventistes animent plusieurs instances de la FPF. Cependant, bien de membres n'ont pas intégré cette adhésion. Ils gardent, cultivent la double stigmatisation pour bien se démarquer. Toute la difficulté est de passer de l'adhésion institutionnelle à l'adhésion communautaire. Deux choses coincent.
- Il y a un effet de génération à attendre. Le temps aidera à trouver évidente l'appartenance à la FPF.
- C'est le plus compliqué. Certaines formes internes de l'organisation adventiste et de sa théologie devront inéluctablement évoluer pour que l'adhésion communautaire se réalise. Deux exemples volontairement saillants. Le premier est le regard adventiste sur les mariages œcuméniques avec d'autres églises protestantes. Bien que les positions évoluent, les textes normatifs adventistes rejettent le mariage d'un adventiste et d'un protestant. Que ce soit le Manuel d'Eglise ou le Manuel du Pasteur, deux ouvrages importants, l'interdiction pour un pasteur adventiste d'officier un mariage œcuménique est stricte. Les tenants d'une position radicale ont donc le texte de droit canonique pour eux. Evidemment les modernistes adventistes peuvent se référer à d'autres textes qui sont des travaux, des réflexions, mais non normatifs. Le second exemple est le rebaptême. Remarquons qu'il commence à connaître une baisse. Mais encore une fois, le droit canonique adventiste impose un baptême par immersion pour se joindre à une communauté adventiste, y compris pour les protestants qui ont déjà réalisé ce rite dans leur congrégation d'origine. Je le redis, le rebaptême est un sujet théologique polémique en interne et des pasteurs se contentent de la simple profession de foi. Le sujet n'est cependant pas explosif en France car la proportion de protestant devenant adventiste est faible.
Que montre tout cela ? La révolution épistémologique est inachevée et en cours. L'adhésion à la FPF pousse l'Eglise adventiste à ne plus se penser en opposition avec les autres protestants. Outre le niveau administratif, un prolongement doit se faire dans le vécu communautaire, les rites, les croyances, les normes, etc. C'est la suite de la révolution épistémologique de l'adventisme qui est à venir.